Ces registres tirent leur nom de l’anche métallique flexible qui produit le son en faisant circuler l’air entre l’anche et la « gouttière » de la tête du tuyau. L’élasticité de la languette la fait vibrer et interrompt ainsi périodiquement l’arrivée d’air entre la languette et la gouttière. La hauteur de son ainsi produite correspond au son propre de la languette elle-même. Le flux d’air divisé transporte et amplifie ce son dans le corps du tuyau et vers le « pavillon » placé sur sa tête. Celui-ci le colore en renforçant ou en atténuant, selon sa longueur et sa forme, différents sons partiels dans son spectre sonore. La languette produit à la fois un son fondamental marqué et des harmoniques riches. S’y ajoute une composante caractéristique, produite par le choc de l’anche vibrante sur les bords de la gouttière, d’où l’appellation « anche d’impact », qui renforce encore le son et contribue largement au caractère ronflant typique de ce registre.
La majeure partie de ce qui est visible sur un tuyau à anche, à savoir le pavillon, n’est pas essentielle à la production du son proprement dit, et il est donc tout à fait possible de construire des tuyaux à anche sans embouts. De tels tuyaux sont toutefois extrêmement riches en harmoniques et leur ronflement n’est pas du tout étouffé, de sorte que leur son a quelque chose de sauvage et parfois même d’inculte pour certaines oreilles. Les jeux d’anches sans ou avec de très petites pièces rapportées sont appelés « Régale ». Elles permettent une construction extrêmement peu encombrante de tuyaux pour des plages sonores relativement basses. C’est pourquoi ils ont traditionnellement joué un rôle important, surtout pour la construction de petites orgues, mais aussi de parties d’orgues dans des espaces restreints, comme le Buffet de poitrine. Un petit orgue qui possède exclusivement un ou plusieurs jeux de régale est également appelé « régale ». Jusqu’au XVIIIe siècle, les régales étaient appréciées pour leur sonorité ample et leur petite taille qui les rendait faciles à transporter, jusqu’à ce que leur caractère sonore caractéristique soit passé de mode.
C’est pourquoi nous distinguons les jeux d’anches selon qu’ils possèdent ou pas de pavillon ou qu’elle soit relativement petite, ou encore relativement grande. Un grand pavillon agit comme un mégaphone : le son est un peu plus puissant, mais en même temps, selon sa forme et sa longueur, il est spécifiquement coloré. Plus un tel embout est long et étroit, plus les fréquences partielles élevées du son de la languette sont en principe atténuées. Cependant, il n’y a guère de limites à la forme de ces appendices, et c’est ainsi qu’au cours des siècles, les facteurs d’orgues ont développé un champ d’expérimentation unique en son genre pour atténuer ou mettre en valeur certaines plages de fréquences avec les formes de pavillons les plus diverses, qu’ils soient cylindriques, coniques élargis ou rétrécis, ou qu’ils soient combinés avec des tubes multiples placés les uns contre les autres ou l’un dans l’autre, avec des ouvertures à différents endroits et de différentes formes et tailles. Tout ceci afin de véritablement modeler le son des jeux d’anches. Les registres d’anches fermés à leur extrémité étaient également appelés « bouchés », bien que l’analogie avec les jeux à bouche de type bourdon ne soit trompeuse : une anche complètement bouchée ne sonne pas du tout, il doit donc toujours y avoir une ouverture à un endroit quelconque pour laisser sortir le vent.
Les registres d’anches se prêtaient parfaitement à l’imitation de sons d’instruments ou de la voix chantée, car il s’avérait beaucoup plus facile de filtrer un caractère sonore spécifique à partir de leur spectre harmonique très riche de manière à pouvoir imiter les couleurs spécifiques des instruments à vent en ajoutant par exemple à un son fondamental le spectre harmonique d’un hautbois ou d’une trompette au moyen de multiples rangées de tuyaux. Cette solution sera également utilisée pour les « Voix mixtes ».
Les jeux à anches portent généralement des noms qui font référence au son de l’instrument qu’ils tendent à imiter. Outre les instruments à vent, il s’agissait de la voix humaine, mais aussi de sons d’animaux particuliers, comme par exemple le « grondement d’ours », qui devait et pouvait résonner de manière audible. Le son des instruments à cordes était également parfois pris comme modèle « Geigend Regal » chez Praetorius ou « Viola da gamba » d’Arp et Frans Caspar Schnitger. La fantaisie baroque et l’humour des facteurs d’orgues ont pu s’en donner à cœur joie, et des registres comme le « régal des vierges » de 4' (Michael Praetorius : « Wird aberb darum also geheissen, weil es ... gleich einer Jungfrauenstimme, die einen basse wolte / gehöret wird » » [nommé ainsi en ressemblance à des voix de vierge s’essayant a chanter des basses] en témoigne. Plus tard, à des époques plus sérieuses ou plus prudes, de tels registres ont été généralement supprimés.
Les principaux registres de grande taille, a jeux d’anches à pavillons possèdent des dimensions s’inspirant de celles des registres a bouches. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la longueur des pavillons des registres « trombone » et « trompette/clairon » est de 2/3 à environ la moitié de la longueur d’un registre a bouche de hauteur correspondante. Celle du registre « basson/hautbois » est d’environ 1/3 à ¼. Un trombone de 8' avait donc un pavillon de six pieds de long, une trompette un de quatre pieds, un basson d’environ trois pieds. Tous ont en commun une forme évasée, avec en plus, dans le cas des pavillons en métalliques, comme c’était le cas pour le registre de la trompette, un élargissement à l’extrémité qui rappelait le pavillon de l’instrument modèle. Certains instruments à vent à perce cylindrique ont été imités avec des formes correspondantes « Krummhorn » en Allemagne ou « Cromorne » en France, qui malgré une homonymie de longueur et de sonorité différentes, restent très proches de leur modèle [fig.].
Les facteurs d’orgues développèrent des pavillons plus courts et de forme beaucoup plus complexe pour imiter la voix. La plupart du temps, ils étaient constitués d’une combinaison de courtes sections cylindriques et coniques ou en forme de cône. Il était en outre fréquent qu’ils présentent un net rétrécissement à leur extrémité supérieure, ce qui permettait de filtrer certaines harmoniques aiguës.
L’objectif poursuivi par de nombreux facteurs d’orgues lors de la construction de leurs registres « vox humana » n’était pas tant d’imiter fidèlement le son de la voix chantée, une entreprise de toute façon difficilement réalisable au moyen des tuyaux de bouche et des tuyaux d’anches. Le son d’un tel registre devait plutôt être riche en timbres vocaux spécifiques variant sur l’étendue du registre, qui donnaient pour ainsi dire l’impression de chanter sans paroles. En tant que registre flottant [comme la « Voce umana » Italienne] ou voix d’anche [comme en Allemagne et en France] en combinaison avec le trémolo, ces registres comptaient parmi les voix solistes les plus appréciées des orgues aux 17e et 18e siècles [illustration].
La construction de tuyau à anches a cependant été parfois sujette à de vives discussions. De nombreux facteurs d’orgues hésitaient à disposer d’un grand nombre de registres à anches, et de nombreux instruments, notamment les plus petits, n’en possèdent pas du tout.
La raison, purement technique, était due principalement au fait qu’ils sont particulièrement sensibles aux variations climatiques : en cas de changement de température, les labiales et les anches se comportent différemment. Les labiales diminuaient ou augmentaient en hauteur selon le réchauffement ou le refroidissement de la température ambiante, alors que les anches restaient en grande partie constantes. Les changements de saison exigeaient donc de l’organiste qu’il réaccorde régulièrement son instrument, en théorie les labiales, car elles se désaccordent plus fortement, dans leur ensemble de manière presque uniforme. En réalité cependant, on réaccorde les anches, moins nombreuses, afin de réduire ainsi la charge de travail.
Lorsqu’une paroisse n’avait pas d’organiste attitré ou que celui-ci n’était pas capable d’accorder l’orgue, il était souvent sage de renoncer d’emblée aux anches et d’éviter la nécessité d’un accordage plus fréquent par un facteur d’orgue. Un auteur anonyme contemporain a décrit ainsi cette dichotomie dans une description du célèbre orgue de l’Inner Temple Church de Londres :
-------- „It hath several excellent stops, as the
Cremona stop, ye Trumpet stop, the Voice humane, which last stop is set to Mr.
Gascell’s voice, who can reach one of the deepest basses in England. These
three stops, tho’ pleasant to the ear, are of no duration, and must be tuned
two or three times a month, which is chargeable, and cannot be performed by an
organ maker; but commonly the organists beyond sea are better skill’d in the
art of tuning their instruments, which few or none in England do understand.”
« Il possède plusieurs registres excellents, comme les registres “Cremona”, “Trumpet”, “Voix humane”, ce dernier étant inspiré de celle de M. Gascell, qui possède l’une des voix de basse les plus graves d’Angleterre. Ces trois registres, bien qu’agréables à l’oreille, ne sont pas permanents et doivent être accordés deux ou trois fois par mois contre des honoraires supplémentaire, ce qui ne peut pas être fait par un facteur d’orgues [sans doute à cause des coûts trop élevés]. Si en général les organistes d’outre-mer sont bien entraînés dans l’art d’accorder les orgues, presque personne ne s’y entend en Angleterre ».
Cependant pour les grandes orgues des églises les plus représentatives, les anches étaient considérées comme indispensables. Les orgues italiens ou d’Allemagne du Sud ne possédaient que peu d’anches. Un orgue français n’était pas vraiment complet de même qu’un orgue espagnol, sans trompette de 8', plus un clairon de 4' à la pédale et au grand-orgue et si possible une bombarde de 16’ pour le « Grand Jeu » composé des principaux et de ces jeux d’anches, ainsi qu’au moins un jeu solo cromorne de 8', de voix humaine de 8' ou de hautbois de 8'. Les effets sonores rendus possibles par les jeux d’anches français ont également impressionné de nombreux facteurs d’orgues en Angleterre et témoigne les « Cremona » de 8' déformé à partir du français « Cromorne ». En Allemagne ils seront adoptés dans d’importantes constructions d’orgues du 18e siècle de Riepp [Ottobeuren], J. A. Stein [Augsbourg, Barfüßer] et de la famille Silbermann [Freiberg, Dresde].
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